Page 193 - Le travail post-retraite
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Le senior, si nécessaire à la transmission entre générations
tibétains qui«s’assoient sur un siège avec des poids dans les mains. Quand ils s’endorment, ils lâchent les poids, ça les réveille. Et ils retournent travailler ». Tout est à l’avenant.
À la différence de ses confrères skippers, il ne lève pas de la fonte entre deux courses mais il pratique intensément le kite surf après en avoir bavé au départ. Il galérait : « Mon aile se posait sur l’eau et je n’arrivais pas à la faire redécoller. » Alors, explique, visiblement admiratif, Philippe Eliès, qui l’a surnommé Le Dernier des Mohicans187, Francis rentrait à la nage. Un kilomètre ou deux. « Parfois, un bateau me ramenait à terre. »
On apprend de ses erreurs surtout sur le temps long. Joyon est un bricoleur, « un chiffonnier des mers »188 raboutant des épaves pour les faire voguer, charpentier de marine, moniteur de voiles aux Glénans et convoyeur de bateaux.
Le premier bateau de Joyon résulte du bricolage des flotteurs d’Elf Aquitaine abandonnés dans le port de la Trinité et d’autres pièces achetées d’occasion. Résultat: un début sans sponsor, une suite à frais réduits et 40 ans de bourlingue, semée de records dans la maturité (Tour du Monde en solitaire en 2004 à 48 ans, Trophée Jules Verne en 2017 à 61 ans).
Joyon est le pragmatique réactif «qui sciait l’arrière de son trimaran, jugé trop long par les organisateurs, peu avant le départ de la Route du Rhum 1990. Il a gardé cette façon de fonc- tionner. Pas de grosse team technique autour de lui, plutôt des proches, son frère et son fils », rappelle Philippe Eliès.
Certains journalistes ont tracé son portrait en radin. Ce qui ressort surtout, c’est une expertise, une capacité à utiliser à son avantage les gaffes de ses compétiteurs, parfois équipés de machines plus performantes, plus chères, mais moins expéri- mentés ! Il jouerait de leurs mauvaises décisions comme de leurs mauvaises fortunes.
Il l’avait déclaré à Jean-François Fournel189. Il évaluait ses chances de l’emporter à 10 %. « Mais mon bateau est aussi expé- rimenté que moi », avait-il glissé. Face à de coûteuses machines rutilantes et des skippers flambant neufs, un bateau de 14 ans, remis à jour par son skippeur-bidouilleur, habilité par l’expé- rience à faire face à de multiples situations. Et à transmettre son exemple sans en rajouter. Un taiseux, Joyon, on vous dit !
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